Lorsque j’ai choisi de vivre à l’étranger après avoir gradué, une partie de moi restait déchirée entre vivre près de ma famille et de mes amies au Québec et continuer à vivre mes aventures autour du monde. À chaque fois que je revenais à la maison, j’avais l’impression d’être de plus en plus en retard sur mes amies qui, avec les années, commençaient à s’établir, acheter des maisons, avoir un chien, avoir des enfants… toutes des choses que je veux éventuellement avoir. Je me suis mise à avoir l’impression que vivre à l’étranger retardait le moment où j’allais avoir tout ça. Si j’étais au Québec je regrettais de ne pas être en train de vivre une aventure à l’étranger et si j’étais à l’étranger j’étais triste des choses que je manquais au Québec et anxieuse d’être « en retard ». Aucune des deux alternatives ne me donnait la paix d’esprit.
Puis, en 2018, alors que je vivais aux Maldives sur une petite île, j’ai pris le temps de réfléchir et faire le point sur ma vie. J’ai réalisé qu’en fait, lorsque j’étais au Québec, je vivais dans l’attente de ma prochaine aventure, sans vraiment créer de vie qui pourrait me plaire. Je n’avais jamais vraiment donné la chance au Québec de me rendre heureuse puisque j’étais partie tout de suite après avoir fini l’école, sans essayer de me créer une vie adulte à Montréal. À ce moment, j’ai donc pris la décision de ne pas m’envoler vers une autre destination, mais de plutôt rentrer à la maison et de donner une vraie chance à une vie là-bas. Je me suis dit qu’en essayant cette option pour vrai cette fois-ci, ça m’aiderait peut-être dans mon dilemme en rendant le choix facile.
Je suis donc revenue à Montréal en septembre 2018 et j’ai commencé à travailler pour un réseau d’auberges de jeunesse à but non lucratif. Ce changement de clientèle me faisait le plus grand bien après les resorts de luxe des Maldives. Puis, en travaillant dans un environnement de voyage en sac à dos, j’avais l’impression de connecter avec cette partie de moi qui ne rêvait encore que de repartir.
Je me suis prise un appartement toute seule, parce que je sentais que j’avais besoin d’indépendance et d’intimité après avoir partagé une petite chambre à trois aux Maldives. J’ai lentement repris une routine que je connaissais déjà bien dans des lieux que je connaissais déjà aussi. J’ai aussi vite repris les sorties avec mes amies qui m’avaient tant manquées. Au début, j’étais vraiment heureuse de reprendre une vie qui ne m’étais pas étrangère pour une fois. Ça faisait du bien de revenir dans quelque chose de familier.
Puis, le temps a passé, la joie du retour est passée et quelques mois plus tard, ça m’a frappée. J’étais dans le métro en direction du travail à l’heure de pointe et j’observais tous ces gens qui se rendaient au travail en silence. J’ai senti mon esprit se déconnecter totalement de la réalité. Tout à coup, je me sentais dans un jeu des Sims où on vit sans vraiment savoir pourquoi. Puis, lors de mes sorties, les conversations habituelles avec mes amies me paraissaient maintenant étranges. On parlait de voitures, de rideaux, d’aller à tel ou tel restaurant, mais je n’écoutais plus. Je me sentais comme un petit oiseau qui observait de haut ce qui se passait et se demandait quel était le but de ces conversations que je commençais à trouver insignifiantes.
Tout s’est mis à manquer de sens. Je ne voyais plus l’intérêt de se poser les plus banales questions quotidiennes. Je me souviens m’être dit qu’en fait, peu importe ce qu’on fait de notre vie, on finit tous dans la mort, donc ça change quoi? Ça change quoi si je fais telle ou telle chose? J’avais l’impression que nos décisions de vie n’avaient plus aucune importance, parce que de toute façon, on allait tous finir au même endroit un jour.
Puis, si plus rien n’avait de sens et d’importance, ça m’a amenée à me demander si la vie elle-même a un sens en fait. Parce que si plus aucune décision n’a d’importance au final, pourquoi est-ce qu’on vit tout court? Est-ce que l’existence humaine a un but? Qu’est-ce qu’on fait sur la terre? Quel est le sens de ma vie? Je me suis mise à me poser des questions existentielles que je n’aurais jamais pensé me poser auparavant. Puis, non seulement je me posais ces questions, mais je n’arrivais pas à penser à autre chose. Ça m’obnubilait au point où je ne dormais plus bien et que je me sentais dans un état dépressif constant. Je ne voyais plus le but de rien faire, car tout était maintenant insignifiant. Je me sentais déconnectée au point où souvent mes journées me semblaient être des rêves. J’avais besoin de trouver un sens à ma vie et de comprendre ce qui se passait soudainement. La situation a commencé à me faire réellement peur. Je ne voyais plus le bout du tunnel et je ne savais pas comment me sortir de ce tourbillon de questions étranges.
J’ai commencé à faire des recherches. J’avais besoin de réponses. Les résultats que je trouvais m’amenaient tous dans la même direction : la religion. Je n’ai jamais été très croyante et mes recherches n’ont rien changé à ce sujet, sauf que j’ai compris pourquoi autant de gens le sont. J’ai compris ce besoin de sentir qu’on fait partie de quelque chose de plus grand. Mais bon, dans mon cas, ça ne réglait pas mon problème. Donc, après des mois et des mois de torture mentale à me sentir complètement déconnectée de ma vie, j’ai pris la décision de commencer la thérapie avec une travailleuse sociale spécialisée en anxiété et croissance personnelle.
Dès mes premières rencontres, on a surtout travaillé sur ma vie au Québec, sans jamais parler de mes questions existentielles. Parce qu’en fait, j’étais revenue de mes aventures autour du monde dans le même moule que j’avais laissé ici en partant. J’avais repris les mêmes habitudes et rien n’était différent que d’avant mon départ. Mais j’avais oublié un élément… j’avais oublié que moi j’avais changé et que moi j’étais différente de quand j’avais quitté le pays. J’essayais de vivre une vie ici qui ne me correspondait plus. J’essayais tellement de m’intégrer aux pressions sociales desquelles j’étais entourée que je n’avais pas remarqué qu’elles me faisaient suffoquer.
Donc petit à petit, j’ai apporté des changements à mes habitudes pour tenter d’adapter ma vie à la personne que j’étais maintenant, en incluant, entre autres, des choses que j’aimais de ma vie dans d’autres coins du monde. Je me limitais à penser que ces éléments faisaient partie d’une vie ailleurs et je ne me permettais pas des les inclure dans ma vie ici, comme si je ne pouvais pas avoir le meilleur des deux mondes. Et sans que je m’en aperçoive, les questions sont disparues comme par magie. Je ne me questionnais plus sur le but de l’existence humaine, ni sur le sens de ma vie, ni sur tout le reste. Je me sentais tout à coup plus légère et l’esprit plus en paix. En ayant travaillé sur la cause de cette crise, on n’a même pas eu besoin de traiter la crise elle-même puisqu’elle s’est dissipée toute seule au fil des changements que j’apportais à ma vie. Après coup, je trouvais même un peu comique le seul fait d’avoir eu ces questions. Je me disais : wow, revenir au pays m’aura donné une crise existentielle à 25 ans.
Un an plus tard, les questions ne sont toujours pas revenues, mais je continue de faire attention de ne pas me laisser influencer par les standards de la société ou mon entourage pour vivre de la façon qui me convient et qui reflète mes expériences et apprentissages à l’étranger. Cette crise m’a prise par surprise, mais m’a appris beaucoup. Je me mettais des limitations basées sur la personne que j’étais avant, comme si je ne me donnais pas le droit d’avoir changé, parce qu’alors je ne serais plus compatible avec le moule sociétal encore bien présent autour de moi. Et cette crise existentielle, c’est ma tête qui a dit stop, ça suffit.
J’ai décidé de partager cette histoire parce que lorsque ça m’est arrivé, je ne m’étais jamais sentie aussi seule de ma vie. J’avais l’impression que personne ne comprenait et que je n’arrivais pas à trouver sur le web des témoignages qui ressemblaient à ma réalité. On ne réalise parfois pas à quel point on change à travers nos voyages et à quel point revenir à la maison peut être un vrai choc et avoir des conséquences comme celles-ci. Mais l’important, c’est de savoir qu’il y a des façons pour passer à travers et que ça va bien aller.