Lettre à la jeune moi de 18 ans, avant mon premier voyage.

Salut jeune Marie-Gil,

Dans quelques jours, tu t’embarqueras dans ton premier voyage en solo. Je suis tellement fière de que tu aies eu le courage de le faire, que tu n’aies pas attendu les circonstances parfaites ou que quelqu’un embarque avec toi, que tu aies pris ton rêve entre tes mains et que tu aies foncé vers l’inconnu. Tu ne le sais pas encore, mais ce voyage sera un point tournant dans ta vie.

À l’aéroport, tu seras fébrile. Fébrile d’embarquer dans une aventure pour toi et toi seule. Tu auras aussi un peu peur. Peur de l’inconnu, peur de te sentir seule et loin de tes proches et peur de ne pas être capable d’y arriver seule. Tu auras des émotions mélangées, mais tu ne laisseras pas cette peur te paralyser. Tu embarqueras dans l’avion et ça changera ta vie.

En Italie, tu rencontreras des gens de partout dans le monde. Tu t’ouvriras à eux, tu partageras des moments uniques, vous découvrirez la ville ensemble et vous échangerez sur vos pays respectifs. Ce sera deux semaines remplies en moments forts, en émotions, en adrénaline et en apprentissages. Tu auras le coeur brisé de quitter cet endroit et tes nouveaux amis. Tu seras triste, parce que cette aventure qui t’auras fait sentir tellement vivante prendra fin et tu devras retourner à ta vie normale au Québec. Les émotions que tu ressentiras à ce moment-là, personne d’autre ne les comprendras à ton retour, parce que c’est l’inconvénient d’avoir vécu cette expérience seule. Tu verras que les gens parlent beaucoup de partir en voyage, mais jamais du retour et de comment ça peut être difficile. Tu ne comprendras pas ce qui se passe au début, parce que personne de ton entourage ne pensera que c’est normal, ils trouveront que tu exagères. Tu ne comprendras pas toi-même pourquoi tu te sens ainsi. Et ce sentiment, tu le retrouveras chaque fois qu’une aventure viendra te toucher profondément. Et ce ne sera pas la dernière fois…

Deux ans plus tard, tu partiras seule pour Bali pour quelques mois. Un an après, c’est vers Budapest que tu iras pour passer un semestre à l’étranger. À ton retour, tu seras nostalgique et triste pendant plusieurs mois, parce qu’encore une fois, tu auras vécu une expérience qui t’aura changée, fait évoluer et fait sentir vivante. Tu verras, ça passera, mais tu voudras recommencer l’expérience pour te sentir de cette façon-là à nouveau. Tu iras donc à Dublin pour un deuxième semestre à l’étranger l’année d’après. Tu auras ensuite terminé l’université, mais tu ne voudras pas que ça s’arrête. Tu opteras donc pour un stage de 6 mois aux Îles Cook, un pays dont tu ignorais l’existence jusqu’à ce jour. Cette expérience-là aussi changera ta vie. Tu tomberas en amour avec la culture et tu envisageras même de faire ta vie là-bas. Cette expérience culturelle riche en émotions te chamboulera comme rien auparavant. Tu auras connu la tristesse et la nostalgie d’un retour difficile avant, mais rien ne se comparera à celui-ci et à la douleur profonde qui s’en suivra. À ton retour, tu n’iras pas bien. Pendant plusieurs mois, tu seras complètement perdue, tu ne sauras plus ce que tu veux, ni qui tu es. Vois-tu, tu auras adopté une autre façon de vivre que celle d’où tu viens. Tu te questionneras sur si tu es réellement faite pour la vie au Québec. Tu ne trouveras pas les réponses. Tu auras mal, tellement mal. Pour faire taire la douleur, tu choisiras de t’embarquer dans une autre aventure, pour 8 mois cette fois. Tu t’envoleras pour les Maldives en pensant que, comme les fois d’avant, une aventure en guérira une autre. 

C’est aux Maldives, isolée sur une petite île, que tu réaliseras que tu as enfilé les expériences à l’étranger les unes après les autres, sans prendre le temps de t’arrêter et de faire le point et sans prendre le temps de t’investir dans une vie au Québec qui serait faite pour toi. Tu réaliseras que lorsque tu étais au Québec dans les dernières années, c’était toujours en attendant de repartir vers la prochaine destination. Et à ce moment-là, tu réaliseras que tu ne peux plus continuer ainsi, parce que les blessures que tes départs t’ont infligées au fil du temps ne se sont pas guéries avec la prochaine aventure. Tu les auras seulement refoulées au creux de toi. Tu réaliseras que tu dois vivre cette douleur que te causent ces parties de toi qui sont restées dans d’autres coins du monde. Que tu dois faire un deuil sur des moments uniques, arrivés dans des circonstances uniques qui ne reviendront pas.

Tu verras que même 7 ans plus tard, personne ne parle du retour. Personne ne parle du processus de croissance que l’on vit à travers chaque aventure et comment il nous change. Personne ne parle de comment il peut être difficile de reprendre la vie qu’on a laissée à la maison après une expérience qui nous a changée. Personne ne parle du deuil que l’on vit en quittant une autre vie ailleurs. Personne ne parle d’à quel point on peut se sentir étouffée au retour, à essayer de se remettre dans une vie qui ne nous correspond plus. Personne ne parle de cette envie irrépressible de repartir pour mieux respirer.

Alors, jeune Marie-Gil, je tenais à t’avertir de ce qui t’attends dans les prochaines années et de ces douleurs que tu ne comprendras pas. Parce que j’aurais aimé que quelqu’un me dise, avant ce premier voyage, que mon retour serait douloureux. J’aurais aimé que quelqu’un me dise que cette douleur est signe que ce voyage fût marquant et m’auras changée. J’aurais aimé que quelqu’un me dise que cette douleur est normale. J’aurais surtout aimé que quelqu’un me dise de ne pas faire taire cette douleur sans vivre ce qu’elle avait à m’apporter. J’aurais aimé qu’on m’explique que j’aurai des changements à faire dans ma vie au Québec pour qu’elle corresponde mieux au changement qui s’est produit en moi.

Tu as maintenant 25 ans, et tu réalises ceci aujourd’hui, après avoir touché le fond pendant plusieurs mois. Mais ne t’inquiète pas, il n’est jamais trop tard pour changer ta vie. Tu es maintenant revenue vivre au Québec depuis un an et tu apprends encore comment modeler ta vie à qui tu es aujourd’hui et à cesser d’essayer de rentrer dans un moule sociétal qui ne te correspond plus. Les voyages sont encore une partie importante de ta vie, mais tu ne veux plus partir pour échapper à quelque chose. Ça prendra le temps qu’il faut, mais tu te créera une vie parfaite pour toi.

Bon voyage jeune Marie-Gil. C’est le début d’une aventure autour du monde qui ne fait que commencer.

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